jeudi 22 novembre 2012

En voyage vers soi

Voici un témoignage que m'a envoyé une amie la semaine dernière. Il est tiré de En quête de soi, un site Internet où j'aime surfer... sur les mots, sur les vies, sur les adoptions, l'acceptation de sa différence et la quête des origines. 
Ce texte me touche beaucoup et j'avais juste envie de le partager avec vous. Je dirais même que ce texte m'a marquée. Mes yeux ont navigué sur ces phrases, les yeux s'humidifiant par tant de bêtise. J'ai de suite pensé aux couples qui ne veulent pas adopter un enfant noir car "ce serait plus difficile pour son intégration" et qui, par conséquent, se projettent davantage avec un enfant né en Asie ou en Amérique latine, cela me frappe. Non, on ne peut pas laisser dire cela. Et c'est encore plus vrai après la lecture de ce récit. Car non, en adoptant un enfant d'Asie ou d'Amérique latine, l'enfant ne sera pas protégé du racisme ! 
Ce site,  je le considère comme une préparation à la vie que l'on connaîtra dans quelques temps, aux problématiques qui se poseront à nous. Ce site donne la parole des adoptés. Une sorte de radio libre pour les adoptés. Une autre voie pour des voix. Celle que j'aime écouter. Celle que je pense précieuse car pleine de leçons. 


Je m’appelle A… et je suis née en 1985, à Séoul dont je n’ai aucun souvenir. J’ai été adoptée très tôt, à l’âge de six mois, tout comme mon frère qui est venu agrandir la famille quelques années plus tard. Nous n’avons jamais cessés d’être aimés et choyés par mes parents et les liens qui nous unissent sont nos racines. Notre vie d’ « adoptés » aurait pu s’écouler paisiblement dans cet oasis de bonheur créé par nos parents mais c’était sans compter sur la bêtise de l’extérieur. Je fais une parenthèse pour souligner combien le film "Couleur de peau miel " est important pour enfin mettre en image et en mots un mal être si difficile à décrire". Comme on peut le lire dans la BD ou le voir, la différence vient toujours du regard de l'autre. 
Sans le vouloir, nous formions une famille étincelante de couleurs où se mêlaient l’or, le bleu, le vert, l’ébène, le lait et le miel, mélange trop détonnant aux yeux de certains qui se sont toujours plu à nous agresser perpétuellement de ces questions pesantes et déplacées :« Ils sont vraiment frère et sœur ? », « Ce ne sont pas vos vrais enfants, alors ? », « Ce n’est pas trop dur de les élever ? », « Combien tes parents ont-ils payé pour t’avoir ? « , « Ah bah c’est sûr, ils ne vous ressemblent pas ! »…Aujourd’hui, je me dis que les racines qui nous rattachent à nos parents ont été bien solides face à la vague de la sottise humaine. 
Et encore, ces questions n’étaient rien face aux réactions primaires des autres enfants. L’insulte fatidique de « chinetoque », les sobriquets malvenus et puants comme le célèbre « bol de riz » et l’image relayée par les films et les séries américanisées des asiatiques stupides et serviles n’ont fait qu’attiser en moi le dégoût et le rejet de mes origines coréennes. A quoi bon préciser à un autre enfant qu’on n’est pas chinoise mais "française, d’origine coréenne" ? Jusqu’à la coupe du monde de football, la Corée n’évoquait pas grand chose dans l’imaginaire des gens et ne semblait même pas avoir une place sur la carte du monde. Avoir les yeux bridés, le nez plat et les cheveux noirs vous condamnait à être irrémédiablement chinois et source de moqueries. Et les souvenirs reviennent ça et là de maladresses impardonnables de la part des adultes à mes yeux d’enfant. Comment excuser l’institutrice qui n’a pas su résister à l’envie de prononcer mon prénom coréen ? Grâce à elle, Hyun-hee est devenu Winnie et l’enfer de la différence a commencé et les surnoms de plus en plus cruels se sont succédé : des grands classiques à l’humiliant « papillon blanc » «ou Tching tchon» qu’on me hurlait aux oreilles, comme si j’étais incapable de saisir un seul mot de français du fait de mon physique. J’ai donc pris le parti de raser les murs, de fuir les miroirs où je ne me reconnaissais plus et de ployer le dos sous les insultes pour ne le relever que dans certains accès de violence. 
Passer une journée sans se faire insulter devenait alors une victoire sinon je fomentais dans ma tête des répliques bouillonnantes et cinglantes, me promettant de les expulser à la tête du prochain assaillant mais les mots restaient au fond de ma gorge. A la différence, E…, mon frère, semblait accepter les insultes et se faisait des amis tout en développant une personnalité vive et solaire ce qui me mettait dans une profonde colère. Comment pouvait-il accepter ce compromis ? A l’adolescence, mon apparence physique est alors devenue un véritable handicap doublé d’une maladresse insupportable alors que mon frère apprivoisait de plus en plus son corps par le karaté et le hip-hop. Engoncée dans le mien, et objet facile de la moquerie des autres, la solitude n’a fait qu’empirer. Pour moi, il n’y avait qu’une seule explication possible : ce physique impardonnable qui signalait sans cesse des racines différentes, étrangères et inconnues. 
Malgré la rencontre avec M… un peu plus tard au lycée qui elle aussi avait été adoptée et le partage de nos souffrances, cette volonté de disparaître n’a fait qu’empirer et a bien failli me coûter la vie. 
Ce n’est que quelques années plus tard que j’ai compris que j’avais finalement réussi à atteindre mon but lorsqu’une étudiante en hypokhâgne m’a dit : « Comment, tu es dans la même classe que moi ? Mais tu dois vraiment être très discrète parce que je ne t’ai jamais remarquée ». La rentrée avait eu lieu un mois auparavant et nous n’étions que quarante…Cet électrochoc m’a fait sortir de cette torpeur dans laquelle je m’étais installée depuis si longtemps et j’ai entamé de nombreux virages : moi qui n’aimait pas parler en public, j’ai décidé de briser ce mutisme en bouleversant l’avenir. Adieu la tranquillité des bibliothèques, derrière les livres qui m’avaient toujours protégée et permis de m’évader, à moi l’enseignement, et pas n’importe lequel : celui du français à des classes bondées et pas toujours très motivées ! Et les électrochocs ont suivis : des rencontres avec des coréens qui s’adressent à moi en prononçant « anianghaseyo » mais aussi avec des amoureux de l’Asie qui trouve en moi une enveloppe bien vide et bien ignorante de ce continent sans cesse rejeté. Et là, les aberrations me sautent aux yeux : grâce à la lecture, j’en connais plus sur l’histoire de la Chine ou la culture japonaise que sur la Corée. Pendant longtemps, ce petit pays n’a rien évoqué d’autres que la scission au niveau du 38ème parallèle, pourtant, ce n’est pas sans l’énergie de nos parents qui n’ont jamais cessé de s’intéresser et de nous faire connaître notre pays d’origine où ils ont fini par nous emmener en 2010. 
Mais cet extraordinaire voyage est une autre histoire et je peux simplement dire que grâce à lui, le reflet dans le miroir me semble plus familier et le regard des autres glisse et n’étouffe plus. 
Texte de KIM CHI - site En quête de soi

5 commentaires:

  1. Très beau et difficile récit. Quelquesoit l'origine ethnique de nos enfants, il nous faut leur apprendre à s'aimer avec fierté et à se défendre de tant de bêtise.
    Chrystelle.

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  2. Ce texte est juste bouleversant... et tellement vrai ! Le racisme envers les asiatiques existe bel et bien. Un enfant adopté a envie d'être comme les autres, de se fondre dans la masse, comme tous les enfants d'ailleurs. Il y a peut-être des lieux de vie plus faciles que d'autres car les populations sont plus mélangées mais ça reste difficile d'essuyer des réflexions stupides ou juste ignorantes, adoption visible ou pas d'ailleurs. Chez nous, l'adoption n'est pas "visible" mais ça fuse quand même (le biberon de vodka, les imitations de l'accent russe, les indiscrétions et questions devant nos enfants qui ne sont pourtant pas sourds, et j'en passe): j'ai déjà expliqué à mon aîné que tout le monde est différent et je lui donne des exemples concrets qu'il connait dans son entourage proche (couleur de peau, lunettes, appareils auditifs, taille, cheveux bouclés ou raides, timide ou exubérant, famille monoparentale, recomposée, handicap physique ou mental , maladie etc) et je lui ai expliqué la richesse de nos différences. Il a deux jumeaux dans sa classe et nous avons parlé d'eux et il a conclu que "même eux deux " étaient différents l'un de l'autre. Et je lui ai dit que certaines personnes ont peur de la différence et du coup ils disent des bêtises et qu'il faut être indulgents avec eux même si parfois ils disent des choses qui nous font du mal. Pas facile... mais l'adoption est loin d'être la seule différence notable dans notre société, loin de là. Je ne veux pas minimiser les propos que tu rapportes, bien au contraire, mais il nous faut montrer à nos enfants que la différence est universelle et qu'elle doit devenir une force. Pas simple... Bises , Anne, maman de deux oursons de Russie.

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  3. bonjour, j'adore tes post, ça refléte la réalité de l'adoption malheureuement, encore et toujours meme en 2013, moi maman de mes 2 trésors du congo, j'ai tellement entendu de maladresses qu'effectivement mon ainé qui est plus sensible, à une certaine époque ne pouvait plus le supporter et se refermer, il a fallu beaucoup d'amour et de patience pour lui faire conprendre qu'il devait passer outre, enfant parfois c'est compliqué. difficile parfois de rester calme. J'aurai tellement d'anectoctes à raconter, on leur renvoit constament dans la figure qu'ils sont adoptés, ou noirs qu'à force c'est vraiment fatiguant, mais que faire contre la bétise des gens ? gros bisous nathalie

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  4. ce texte m a boulversé, c est tellement dur . merci pour ce partage . bises. flo

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  5. rassurez-vous quand même, depuis 20 ans la société a quand même évolué. Notre fille n'a pas a subir ce genre de remarques aujourd'hui, alors qu'elle est collégienne et que son adoption est très visible (elle vient du Sénégal)
    en primaire, en France, à un moment elle a eu des remarques "racistes" comme "joue pas avec elle, elle est toute noire" mais ce n'a pas duré bien longtemps, nous lui avons appris à répondre de bonne répliques! (elle a un fort caractère, c'est une chance).
    Nous avons eu droit pour notre part à des remarques pas très futées mais là je suis une lionne avec mes enfants et je ne deviens pas très aimable, cela coupe court!
    en tout cas je lis aussi le site "en quete de soi" et je le trouve très intéressant pour nous parents, pour comprendre nos enfants.

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