Les gens
On ne le sait pas assez mais les gens sont omniscients. Ils savent mieux que toi ce qui fait souffrir et ce qui ne le fait pas. Toi, bougre d’infertile, tu ne sais rien. Tu crois que tes difficultés à te reproduire sont une épreuve mais en fait t’as capté que dalle. La preuve, “il ya pire que ça dans la vie”.
Devant tant de clairvoyance, tu te dois de t’incliner. Que la personne qui t’annonce cette vérité vraie n’ait jamais rien vécu de plus douloureux qu’un panaris dans sa vie ne doit pas amoindrir la valeur de son jugement. Elle sait. Elle regarde Confessions intimes sur TF1. Et pas plus tard qu’hier, elle a pleuré en regardant les infos. Ces 21 enfants morts dans un accident de bus en Suisse, c’est horrible (les adultes morts dans ce même bus, on s’en tape). Hier, elle a beaucoup souffert car ,vois-tu, elle a elle-même trois enfants (qui vont bien, merci).
Toi, infertile de mes deux, tu ne peux pas comprendre. Déjà, en tant que nullipare, tu es forcément insensible à la douleur d’autrui et qui plus est à celle de parents, mais en plus, tu chiales pour rien. L’infertilité ça fait pas mal. Moins qu’un panaris en tous cas. Alors pouêt-pouêt.
Les gens, ils ont un annuaire des trucs graves de la vie. Tout y est recensé, les cancers, les deuils, les viols, les panaris, tout. En plus il y a un barême avec des points. Les gens qui n’ont vécu ni le cancer, ni le viol, ni le deuil, ni l’infertilité et surtout pas les quatre à la fois savent très bien que tout en bas du barème il y a l’OATS, l’insuffisance ovarienne et l’endométriose (0,5 point). Le panaris, c’est 50, juste devant la leucémie (45).
D’ailleurs, on peut vivre très heureux sans enfants. Enfin, toi. Eux, ils ont eu des gosses, ils sont normaux, merci. Mais toi, tu peux. Et tu dois. T’inscrire dans un long parcours d’AMP, c’est égoïste. Il faut savoir accepter son sort. L’infertilité c’est déjà un truc de gros connard égocentrique. Mais vouloir en sortir c’est encore pire. Etre parent, c’est une preuve de leur équilibre psychique - puisqu’il est bien connu que l’infertilité c’est dans la tête – mais surtout de leur incommensurable sagesse. Ton infertilité est la preuve de ta nullitude.
Les gens ont tout compris à la vie. Pas toi. Bah ouais, sinon tu serais fertile, sombre crétin. Donc quand un de tes proches te dit “Faut pas y penser, ça viendra tout seul”, tu lui dit "Merci" et tu le laisses s’essuyer les pieds sur ta gueule si ça lui fait plaisir. Parce que c’est vrai, quoi. Comme méthode de contraception on n'a pas trouvé mieux que d’y penser. Personne ne le dit parce que l’industrie pharmaceutique ne veut pas que ça se sache (encore un complot crypto-communiste). C’est comme le moteur à eau dont le brevet a été racheté par les grandes compagnies pétrolières. On nous manipule.
En plus de toutes ces qualités (c’est déjà beaucoup pour un seul homme), les gens sont extralucides. Ouais, s’ils te disent "Bah, ça va venir”, c’est que c’est vrai. Et pas de mauvais esprit, infertile aigri, c’est pas ta main dans leur gueule qui va venir. C’est un bébé. Tu vois, tu t’inquiètes pour rien. Tu relativises pas assez. T’aurais pu être Natacha Kampusch, avoir un panaris ET être infertile. Bordel de bordel, t’es trop un chanceux de la vie mais tu fais que te plaindre. Ouiiiii, je suis malheureux, j’ai pas d’enfants!! Ah ben bravo, avec une mentalité pareille, c’est bien fait pour ta gueule. T’avoir pour parent, ça, c’est dans l’annuaire des trucs graves de la vie. 70 points. Encore pire que le panaris.
Les gens savent bien que quand on est infertile, il te pousse une espèce d’aura qui te protège des vrais trucs grave de la vie. Genre quand t’as une azoospermie, t’as pas de cancer (sic), ta femme se fait jamais violer, tu vis pas à Fukushima ni dans une cave louée 700€/mois. Tu peux pas comparer donc. Sinon, tu saurais que l’AMP, c’est un peu la maison du bonheur avec des volets en forme de coeur et des arc-en-ciels dans le jardin sur lesquels tu fais du toboggan. Mais toi, t’es trop nase, tu crois que c’est juste de longs couloirs froids d’hôpitaux, des doses de cheval d’hormones que tu t’injectes dans le bide, des ponctions d’ovocytes où on te transperce les ovaires avec une longue aiguille, des hyperstimulations, des échos et des prises de sang tous les deux jours, de l’angoisse, de l’angoisse et de l’angoisse. Toi tu crois que l’AMP, c’est juste une magistrale claque dans ta gueule quad ça marche pas.
Les gens te font chier. Mais c’est normal, t’es aigri. Tu sais pas voir le verre à moitié plein. Tu fais que traîner en pyjama en pleurant sur tes embryons qui se sont pas accrochés ou tes ovaires qui ont pas été fichus de choper un spermato. Ouais, ben, pendant ce temps là, il y a des gens qui ont des panaris. Et ça fait mal les panaris, BORDEL!
Les gens font tout ce qu’ils peuvent pour t’aider, genre te culpabiliser en te disant que c’est dans ta tête. Bon, toi, forcément, tu prends tout mal. Les gens c’est pas Mère Térésa, il y a un moment où ils en ont marre de ton ingratitude. Tu peux pas leur en vouloir. C’est déjà bien sympa de leur part de continuer à t’adresser la parole. Rien que l’autre jour, ils ont dû arrêter cinq minutes de parler de leur gosse (qui est un génie soit dit en passant) pour t’écouter leur expliquer que ta 3ème FIV vient de foirer. C’est énorme cinq minutes. Tu peux pas en plus leur demander de compatir. Faudrait pas abuser non plus. De toute façon, tu peux pas comprendre à quel point c’est dur d’être parents. Eux y arrivent mais toi, c’est sûr que tu vas en chier. Déjà que tes pas doué pour les faire, les gosses, alors les élever, tu penses. Autant demander à un cul-de-jatte de faire des pointes.
Les gens sont quand même vachement sympas de te supporter. Parce que franchement, tu mériterais de crever d’un panaris en regardant Confessions intimes. Là, tu comprendrais ce que c’est que la souffrance.